Antick — l'espace des objets disparus ou en voie de l'être
La messure du temps au quotidien
Horloges, réveils, pendules, montres, carillons…
par Jean-Claude Raymond
©Photographie Diane Godin
Autrefois, les domestiques de ferme dormaient dans les étables. Cela peut nous paraître aujourd'hui étrange et mêmeinconcevable pour les plus jeunes. J'ai vu dans l'étable de mon-père ce genre de lit . Une sorte de caisse, avec des bords d'une quinzaine de centimètres, accrochée au mur du fond de l'étable à environ un mètre cinquante au-dessus du sol. Elle ne servait plus, mais à l'époque, elle devait être remplie d'une paillasse bourrée de paille. Dessous, on rangeait les bidons de lait et les entonnoirs et autres ustensiles. L'hiver, c'était un endroit idéal car la chaleur animale en faisait certainement l'endroit le plus chaud de la ferme.
Un soir d'assemblée, Julien était rentré assez tard d'une assemblée1 au cours de laquelle il avait bien dansé et peut-être un peu bu. En arrivant dans l'étable, il avait machinalement accroché ses vêtements et autres objets personnels à des clous plantés dans les murs. Il se coucha, mais le sommeil ne venait pas. Effet du vin ou excitation de la fête, il se retournait dans son lit depuis un moment lorsque tout-à-coup, il aperçut un drôle d'œil, près de la porte de l'étable. Il pensa d'abord qu'il venait de rêver tant le reflet dans cet œil paraissait étrange et irréel. Se sentant menacé, il fit un geste brusque espérant effrayé cet animal inconnu. Mais, celui-ci resta immobile et d'une impassibilité inquiétante. Il pensa aux histoires exraordinaires qu'on raconte lors des veillées. Il n'y avait jamais cru mais aujourd'hui, il devait se rendre à l'évidence, le surnaturel et la maléfique s'étaient introduits dans l'étable. Il articula une menace à l'encontre de l'intrus. Des vaches réveillées beuglèrent. L'animal ne bougea pas. Il ne quitta même pas notre homme des yeux pour surveiller le remue-ménage consécutif au réveil des vaches.
La peur s'empara du jeune homme et du même coup le désoûla. Il comprit alors le danger de la situation. Il était acculé et ne pouvait même pas fuir car la bête se trouvait près de la porte de l'étable qui était close. Un frisson le parcourut. Il savait la fourche à fumier à portée de main au pied de son lit. Dehors, la lune éclairait la campagne et, dans la pénombre de l'étable, il arrivait à en distinguer le manche. Avec d'infinies précautions, il s'en approcha. D'un geste brusque, il s'en saisit et sauta hors du lit sans regarder, les yeux fixés sur l'œil qui l'espionnait. Il avait oublié la brouette laissée là, la veille. Déséquilibré, il s'affala dans les bidons ce qui provoqua un tintamarre énorme. Le temps de se relever, l'animal effrayé avait disparu. Par précaution, il mit la fourche à la tête de son lit. Confiant, il regagna son lit sans regarder si l'animal était toujours là.
Mais, le sommeil ne venait toujours pas. Il se remémorait sa mésaventure. Il imaginait déjà ce qu'il allait pouvoir raconter à ses copains. Il brodait, enjolivait. Il se voyait racontant son histoire lors des veillées. Les enfants ébahis étaient suspendus à ses lèvres. Il était entré dans le cercle des anciens qui ont le privilège de connaître ce genre d'histoires. Lui n'était pas obligé de commencer par : « Il y avait une fois… » car il avait vraiment vécu la situation.
Alors, qu'il était perdu dans ses pensées, dans le silence de la nuit, l'œil était de retour. Mystérieusement, l'animal pouvait entrer et sortir sans faire grincer la porte. Cela démontrait le côté maléfique de la créature.Sa peur se changea soudainement en une force inimaginable. Il se sentit invincible. Il saisit la fourche qui était à sa portée et dans un élan aveugle se rua en direction de l'animal, prêt à livrer éventuellement un ultime combat. Sans même savoir si l'œil était toujours là, il asséna quelques coups de fourche à l'endroit présumé. Un bruit mat se fit entendre. Il ne vit plus l'œil. A l'invincibilité succéda le sentiment d'extrême faiblesse. Ses muscles tremblaient, ses jambes pouvaient à peine le soutenir. Il eut même de la peine à remonter dans le lit. Avant de s'allonger, il regarda dans la direction où la bête se tenait. Elle n'y était plus. Il s'endormit enfin.
Contrairement à l'habitude, c'est son maître qui vint le réveiller : « Alors, Julien, t'as fait la fête cette nuit ? T'avais trop bu ? T'as réveillé mes vaches, renversé les bidons et la brouette ! » Pour se justifier, Julien raconta sa nuit et comment il avait vaincu le monstre. Le maître comprit ce qui s'était passé. Il tendit quelque chose à Julien : « Regarde, je l'ai trouvée près de la porte parmi tes vêtements laissés à même la paille et le purin. » Julien prit la montre que lui tendait son maître, sans dire un mot, dépité d'avoir cassé le verre de sa montre2 mais surtout il réalisait qu'il ne pourrait pas raconter son héroïque histoire sans devenir la risée de tous.
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Dernière modification : 2010-02-15 - 19:50:21
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