Antick — l'espace des objets disparus ou en voie de l'être

Plumes à écrire

par Jean-Claude Raymond

Présentation

La plume n'a plus sa place dans les cartables des écoliers depuis déjà les années 1960. Le stylo à bille et autres feutres les ont remplacées.

Pourtant la plume en acier avait en son temps apporté un confort significatif par rapport à la plume d'oie, son ancêtre. Si pour dans des mains maladroites, la plume acier avait encore eu la même tendance à écorcher et trouer le papier, elle s'en sortait sans détérioration, ce que ne savait pas faire l'ancêtre qui n'acceptait que les mains expertes. Mains expertes ou écoliers, le buvard était le complément indispensable pour sécher l'écriture fraîche ou boire les taches, appelées souvent pâtés, qui décoraient les feuilles des maladroits.

La plume d'acier a elle-même été remplacée par le stylo à bille qui fut inventé pour les aviateurs (cf. article sur le stylo). Je me rappelle les discussions entre les instituteurs (chez mes oncles et tantes, il y avait au moins un enseignant par couple). Il y avait les défenseurs de la plume qui argumentaient que la plume développait l'habileté et la maîtrise du geste. Les autres considéraient que l'évolution était irréversible.En son temps, la plume métallique fut aussi décriée lors de son apparition comme en témoigne le texte que nous rapportons ici.

Aujourd'hui, la diffusion croissante de la microinformatique n'entraînera-t-elle pas la quasi-disparition de l'écriture manuscrite. 

Bien sûr, il faudra bien savoir griffonner quelques mots sur un pense-bête. On continuera donc à apprendre à tracer des lettres à la main à l'école mais sur le plan professionnel qu'en sera-t-il ? Déjà dans certaines entreprises du secteur tertiaire, la majorité des salariés sont équipés de microordinateurs et plus aucun document officiel n'est manuscrit. L'emploi de dactylographe a pratiquement disparu. De plus en plus souvent, les documents n'ont qu'une existence électronique. C'est par exemple le cas du présent site.

L'épopée de la plume d'oie doit s'étendre sur des siècles. Était-elle seule ? Un passage de Rabelais dans son Gargantua nous apprend que Grangousier, le père de Gargantua

écrit au foyer avec un bâton brûlé d'un bout dont on escarbote [escharbotte dans le texte de Rabelais] le feu, faisant à sa femme et famille de beaux contes du temps jadis.

Jacques Boulenger

in Rabelais

1942, éditions Colbert, page 16


Il est probable qu'il s'agisse d'un souvenir d'enfance de François Rabelais voyant son père écrire en sa maison.

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La plume métallique

Plumes Tongimed dites État-Major

Le dessin ci-dessus présente quelques exemples de plumes. Il provient de la dernière page d'un cahier d'écolier. Il existait plusieurs sortes de plumes adaptées au type d'écriture. La plume acier bien plus résistante et rigide que la plume d'oie a gardé une certaine souplesse qui varie en fonction des marques et de formes. En appuyant plus ou moins fort sur la plume on obtient une épaisseur de trait qui varie. Naturellement, lorsqu'on trace un trait descendant, on peut appuyer sur la plume et obtenir un plein. Inversement lors d'un tracé ascendant la plume à tendance à se piquer dans le papier, il faut donc effleurer le papier. On obtient alors un tracé étroit — le délié. La qualité de surface de ce dernier est importante.

La notion de plein et de délié a disparu des apprentissages scolaires. Le stylo à bille permet d'appuyer aussi bien en montant qu'en descendant. Il ne réclame aucune dextérité. Pourquoi s'échiner à changer l'épaisser du trait ? D'ailleurs, certains pensent même que le stylo à bille ne le permet pas.  Pourtant, les personnes qui ont acquis une belle écriture à la plume d'acier arrivent naturellement à tracer des pleins et des délié pour peu que le stylo à bille ne soit pas trop mauvais. De grands écrivains ont été aversaires de la plume d'acier (voir ci-dessous), mais ils n'ont pas empêché la relégation de la plume d'oie. De même le stylo à bille a déjà détrôné la plume d'acier. Continuera-ton encore à écrire à la main avec les traitements de textes et bientôt la reconnaisance vocale ?

La plume Ogive était utilisée pour l'écriture anglaise dont vous voyez un modèle à gauche. Une autre marque proposait la plume Sergent-Major que les écoliers des années 1950 ont bien connue.

Plume Sergent-Major

L'utilisation de la plume Ronde est très spéciale et découle probablement d'habitudes acquises avec la plume d'oie qui ne pouvait présenter très longtemps des pointes aussi acérées que la plume d'acier. On utilise non plus une pointe mais un plat. Si vous déplacez la plume perpendiculairement au plat, on obtient un trait large. Si la déplacer dans le sens du plat vous obtenez un trait fin. Cela nous ramène à l'époque des moines appliqués à la reproduction minutieuse de livres précieux.

Il faut ajouter que les plumes doivent retenir une petite quantié d'encre afin de pouvoir écrire quelques mots sans avoir besoin de la recharger dans l'encrier. C'est le but des évidements qui ne sont pas que des décors.

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Texte sur la plume d'oie

Concurremment avec les plumes d'oie, de grue et de cygne, que l'on vendait partout alors toutes taillées, comme celles qui se trouvent « dans le premier tiroir de droite » du bureau de Xavier de Maistre, au XXIVe chapitre du Voyage autour de ma Chambre, on employait aussi les plumes de vautour, les plumes de canard et les plumes de corbeau. Ces dernières n'étaient guère employées que pour le dessin ou les écritures très fines. L'Almanach des Muses, année 1701, renferme le quatrain suivant sur un Envoi de plumes de corbeau à un célèbre dessinateur :

Le dieu des Arts l'a juré par le Styx;
Pour tes dessins d'une touche si pure,
Ces plumes de corbeau vont, changeant de nature,
Devenir sous tes doigts les plumes du Phénix.
(...)

Page 94

La Restauration amène un moment d'accalmie, pendant lequel la plume d'oie eut des destins plus paisibles, témoin ce quatrain dédié par un poète anonyme à une demoiselle qui lui avait donné un paquet de plumes taillées par elle :

Sensible à ce joli cadeau,
Ma voix reconnaissante
Va donc répéter de nouveau
Que ta taille est charmante (1).

Jusqu'en 1830, époque où l'on importait chaque année en France, d'après les registres de la Douane, de quatre-vingt à cent mille kilogrammes de plumes à écrire, brutes, venant de Russie, de Belgique, et d'Angleterre, la plume d'oie est restée le véritable instrument de l’écriture. On en trouve un exemple dans la Réponse aux anonymes de Paul-Louis Courier : « Vous, Paul-Louis, vous deviez être non seulement prudent, mais muet… il fallait vous tenir coi, tailler votre vigne, non votre plume. »

Page 96

Vers 1839 seulement, les plumes métalliques commencèrent à se répandre dans le public, quoique les maîtres d'écriture eussent prononcé leur arrêt en faveur de la plume d'oie.  L'industrie put dès lors livrer des plumes métalliques à un franc la douzaine, mais elles n'étaient pas perfectionnées comme de nos jours. Cela explique pourquoi la plupart des grands écrivains de la première moitié de notre siècle ont préféré les plumes d'oie aux plumes de fer. « Nous citerons à la tête de ces récalcitrants, dit Alexandre Dumas père dans une Monographie de l'Oie, Chateaubriand, de Vigny, Méry et Victor Hugo. Le premier ouvrage que celui qui écrit ces lignes eût écrit avec une plume de fer est : Richard d'Arlington. » II en est de même de George Sand. « II est très vrai que je suis un paresseux », écrit-elle dans une lettre datée de Nohant (20 janvier 1827). « Vous savez que je suis de force à me laisser brûler les pieds plutôt que de me déranger et à vous couvrir une lettre de pâtés plutôt que de tailler ma plume… Chacun sa nature. » Une révélation de Desbarolles, l'auteur des Mystères de la main et de l’écriture, nous apprend qu'Alexandre Dumas fils ne se sert également que de plumes d'oie. « II rature, il efface, il jette au hasard des feuilles sur sa vaste table toute parsemée de plumes d'oie qu'il saisit quand l'inspiration le prend. Enfin Gustave FlaubertCorrespondance inédite) dans ses apostrophes à son ami Maxime du Camp, lui écrivait, en 1865 : « Prends garde! tu es sur une pente! Tu as déjà abandonné les plumes d'oie pour les plumes de fer, ce qui est le fait d'une âme faible. » Quant à l'auteur de Madame Bovary, il fait l'aveu suivant le 14 mai 1857, à son correspondant Louis Cormenin : « Un encrier pour beaucoup, ne contient que quelques gouttes d'un liquide noir ; mais, pour d'autres, c'est un océan, et moi je m'y noie. J'ai le vertige du papier blanc, et l’amas de mes plumes taillées sur une table me semble parfois un buisson de formidables épines. J'ai déjà bien saigné sur ces broussailles. »

Victor Hugo se servit jusqu'à sa mort de la plume d'oie, « celle qui a la légèreté du vent et la puissance de la foudre », selon ses propres expressions. (…)

Pages 97 et 98

Spire BIondel

in Les outils de l'Écrivain

Librairie Renouard, Henri Laurens éd., 1890,
p. 93-94, 96-98.

 Note 

(1) Journal des Dames, 20 septembre 1821. Retour au texte.

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Dernière modification : 2010-02-21 - 14:58:52

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